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Report - Strategy

L’Iran, le brut et le blocus : Anatomie d’un acteur contraint mais central

Datafalk
DatafalkJune 16, 2025
L’Iran, le brut et le blocus : Anatomie d’un acteur contraint mais central

Executive Summary (résumé)

L’Iran occupe une place singulière sur le marché mondial du pétrole. Doté de la troisième réserve prouvée de brut au monde, le pays peine à exploiter son plein potentiel en raison de sanctions internationales persistantes et d’un sous-investissement chronique. Malgré ces contraintes, la production iranienne de pétrole brut est passée de moins de 3,0 millions de barils par jour (b/j) en 2020 à plus de 3,3 millions b/j en 2025, en grande partie grâce à l’intensification de ses exportations vers la Chine. Cette dernière absorbe désormais 91 % du brut iranien, créant une dépendance commerciale critique.

Face aux sanctions, l’Iran a développé un réseau complexe de contournement incluant transferts de navire à navire, flotte fantôme et remises tarifaires ciblées. Il maintient ainsi des volumes d’exportation proches de 1,8 million de b/j en 2025, tout en échappant aux restrictions occidentales. Sur le plan stratégique, Téhéran vise à renforcer sa capacité de raffinage et à diversifier ses débouchés vers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine.

L’Iran reste un membre actif mais exempté de l’OPEP+, ce qui lui confère une marge opérationnelle unique. Par ailleurs, la menace de blocage du détroit d’Ormuz (par lequel transite 20 % du pétrole mondial lui donne un levier indirect sur les prix.

Dans un contexte d’incertitude géopolitique croissante, l’Iran exerce une influence sur les marchés bien supérieure à son poids réel en barils. Sa trajectoire future dépendra autant d’évolutions diplomatiques que de sa capacité à moderniser ses infrastructures et à élargir sa base de clients au-delà de Pékin.

Mindmap Graph Background

Graphe de relation généré par Datafalk Engine sur les parties prenantes tirées de l'article


Introduction

Ce chapitre évalue la place de l’Iran sur le marché pétrolier mondial, entre contraintes structurelles, résilience stratégique et réalignements géopolitiques. Les principaux messages portent sur :

  • la reprise progressive de la production iranienne malgré les sanctions
  • l'extrême dépendance vis-à-vis de la Chine, l’effet structurel des sanctions sur l’investissement
  • la centralité du détroit d'Ormuz et le pouvoir d’influence indirecte de Téhéran sur les prix mondiaux

1. Contexte & enjeux

L’Iran dispose de la troisième réserve prouvée de pétrole au monde, représentant 12 % du total mondial et 24 % des réserves du Moyen-Orient1. En dépit de cette dotation, la production de brut s’est longtemps maintenue sous son potentiel du fait des sanctions et d’un sous-investissement chronique. Le retrait américain du JCPOA en 2018 a accéléré ce déclin, provoquant une chute de la production à moins de 3,0 millions de barils/jour (b/j) en 20201.

Depuis, la production a redémarré. Elle atteignait 2,9 millions de b/j en 2023 et 3,3 millions de b/j au printemps 20252 3. Ce rebond reste inférieur à la capacité maximale estimée à 3,8 millions de b/j, atteignable en moins de six mois en cas de levée des sanctions1. La reprise est essentiellement tirée par les exportations vers la Chine, unique client majeur, qui a absorbé 91 % des expéditions iraniennes en 20244.

Parallèlement, l’Iran a développé des stratégies d’évasion sophistiquées : transferts navire à navire, dissimulation de pavillon, "flotte fantôme" de 477 tankers identifiés en 20244. Ces moyens permettent de contourner la pression des sanctions, même si le secteur pétrolier iranien reste structurellement affaibli. L’investissement nécessaire pour restaurer 400 000 b/j de capacité est estimé à 3 milliards USD5.

Le détroit d’Ormuz, passage obligé des exportations iraniennes, représente à lui seul 20 % du commerce maritime mondial de pétrole6. Sa vulnérabilité en fait un point de pression géopolitique. Téhéran conserve ainsi une capacité d’influence indirecte sur les prix : le seul risque de perturbation suffit à intégrer une prime de risque de 5 à 10 USD/baril sur le Brent⁹.

2. Analyse détaillée

Les exportations de brut iranien sont passées de 0,9 million de b/j en 2022 à 1,3 million en 2023, puis à 1,6 million en moyenne sur l’année 20247 4. Elles approchent désormais 1,8 million de b/j (mai 2025)1 5, des niveaux inédits depuis 2018. Le pétrole iranien est acheminé presque exclusivement vers la Chine, via un réseau opaque de petits raffineurs indépendants ("théières") implantés dans la province du Shandong8.

La Chine importe massivement ce brut à prix réduit. Officiellement, ses douanes n’enregistrent aucun flux en provenance de l’Iran8, preuve d’une volonté de préserver une forme de déni plausible. Cette dynamique relève d’un arbitrage stratégique : renforcer ses réserves tout en bénéficiant de coûts inférieurs. L’excédent de brut domestique chinois a ainsi atteint 1,89 million de b/j en avril 20252 4.

L’orientation stratégique de l’Iran consiste désormais à renforcer sa capacité de raffinage domestique (objectif : 130 millions de litres/jour de produits finis1 3) et à diversifier ses débouchés vers l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie non-OCDE. Des accords bilatéraux ont été engagés avec l’Irak, le Venezuela et la Russie1 3. Toutefois, les infrastructures nécessaires à cette ambition: comme le pipeline Goureh-Jask restent sous-utilisées (300 000 b/j vs. 1 million prévus) 1.

La position de l’Iran au sein de l’OPEP+ est singulière : membre fondateur, il est exempté de quotas en raison des sanctions, mais soutient officiellement les décisions du cartel2. Ce statut lui permet de maximiser sa production dans les marges laissées par les autres membres. Si les sanctions étaient levées, jusqu’à 500 000 b/j pourraient réintégrer le marché mondial, exerçant une pression baissière sur les prix (WTI estimé à 40 USD/baril)1 7.

Le conflit israélo-iranien accroît cette incertitude. Les frappes israéliennes sur des sites stratégiques, notamment South Pars en juin 2025, ont provoqué des interruptions de production de gaz naturel9. L’hypothèse d’un blocage temporaire du détroit d’Ormuz pourrait propulser le Brent à 150 USD/baril10, bien au-delà du niveau actuel de 75 USD.

3. Synthèse & recommandations

L'Iran maintient une présence significative sur le marché pétrolier malgré les contraintes. Son retour partiel s’explique par l’alignement tactique avec un client-clé: la Chine et une ingénierie de contournement des sanctions à grande échelle. Toutefois, cette configuration crée une vulnérabilité structurelle : une dépendance à un seul débouché, une flotte sanctionnée, et un outil industriel sous-capitalisé.

L’allègement des sanctions libérerait rapidement jusqu’à 500 000 b/j supplémentaires. Mais cela pourrait simultanément déstabiliser les prix mondiaux et provoquer des tensions au sein de l’OPEP+, entre producteurs conventionnels et producteurs sanctionnés. A l’inverse, leur intensification accroîtrait le recours à la clandestinité, sans stopper durablement les flux.

À court terme, il est recommandé d’anticiper le maintien de flux iraniens supérieurs à 1,5 million de b/j, concentrés sur la Chine. Les fluctuations de cette demande – notamment sur le segment pétrochimique – doivent faire l’objet d’un suivi rapproché. À moyen terme, la capacité du secteur iranien à investir, en particulier dans le raffinage, conditionnera la soutenabilité de son offre.

Conclusion

L’Iran, tout en étant un producteur limité par des contraintes externes, influence significativement la dynamique pétrolière mondiale par sa résilience opérationnelle, ses choix géopolitiques et sa capacité à injecter du risque systémique dans les chaînes de valeur. Son avenir énergétique dépendra autant de décisions internes (investissement, diversification) que d’arbitrages géopolitiques externes. À ce titre, le pétrole iranien reste un baromètre critique de l’ordre énergétique mondial.


Sources citées

Footnotes

  1. https://www.eia.gov/international/content/analysis/countries_long/Iran/pdf/Iran%20CAB%202024.pdf 2 3 4 5 6 7 8

  2. https://tradingeconomics.com/iran/crude-oil-production 2 3

  3. https://www.ceicdata.com/en/indicator/iran/crude-oil-production 2 3

  4. https://www.bairdmaritime.com/shipping/tankers/irans-2024-oil-exports-exceeded-580-million-barrels-despite-us-sanctions 2 3 4

  5. https://www.atlanticcouncil.org/blogs/menasource/why-now-is-the-right-time-for-maximum-pressure-on-irans-oil-exports/ 2

  6. https://thefederal.com/category/international/israel-attacks-on-iran-hurting-global-oil-prices-impact-is-set-to-worsen-192176

  7. https://www.ceicdata.com/en/indicator/iran/crude-oil-exports 2

  8. https://www.energypolicy.columbia.edu/publications/chinas-oil-demand-imports-and-supply-security/ 2

  9. https://apnews.com/article/israel-iran-attack-oil-stock-market-fe6d0aed826aec5f041ed492f19ea12d

  10. https://www.ainvest.com/news/burning-oil-markets-israel-iran-conflict-igniting-geopolitical-risks-opportunities-energy-investments-2506/

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